Un territoire d’espoir à Cergy

Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD) est une expérimentation lancée en France en 2017. La ville de Cergy s’y est engagée depuis 2018 comme territoire volontaire, alors hors expérimentation officielle. L’objectif : créer de l’emploi de manière durable (CDI) et non concurrentielle pour et avec des personnes au chômage depuis plus d’un an dans des quartiers prioritaires de la Politique de la Ville. Ces personnes se portent volontaires pour participer à cette expérience.

Un jeu lors d’un atelier de TZCLD animé par Jean-Pierre Weyland (de gauche à droite Laurent, Christine, Maly, derrière : Aurélie) Un jeu lors d’un atelier de TZCLD animé par Jean-Pierre Weyland (de gauche à droite Laurent, Christine, Maly, derrière : Aurélie)

Lors d’une session où j’ai accompagné Jean-Pierre Weyland qui y anime des ateliers, j’ai pu faire connaissance avec quelques volontaires ; j’ai été frappée par le sourire et l’enthousiasme de chacun. Durant diverses activités, ils ont chacun fait preuve d’altruisme et d’empathie face à différentes personnes ou situations auxquelles ils pourraient être confrontés. Tout le monde s’est montré volontaire et à l’écoute, c’était un moment très agréable.
Pour mieux comprendre cette expérimentation, nous avons questionné Christine Erard, chargée de mission politique de la ville et cheffe du projet Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée de Cergy.

Pouvez-vous expliquer en quelques mots TZCLD ?
Il s’agit d’une expérimentation territoriale qui vise à faire appliquer le droit à l’emploi, qui est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, puis de 1958. L’expérimentation repose sur trois fondamentaux : 1 Nul n’est inemployable si le poste est adapté à la personne. 2. Ce n’est pas le travail qui manque, ce sont les emplois. 3. Ce n’est pas l’argent qui manque, puisque le coût du chômage de longue durée est d’un peu plus 40 milliards d’euros par an.

Quelles sont les spécificités de Cergy ?
Les personnes préparent leur emploi futur qui sera créé sans détruire ceux en place localement. Les postes sont conçus spécialement et personnellement en fonction des personnes.
Nous avons un groupe de travail préparatoire où nous visons à améliorer le savoir-être (quelle posture à avoir, le positionnement par rapport aux collègues et à la hiérarchie, quels éléments de langage utiliser vis-à-vis des clients, des partenaires, etc.) via des ateliers, avec Weyland et Compagnie ou Paroles ! Arc-en-ciel Théâtre par exemple. Ce collectif de travail est important puisque les salariés collaboreront au sein de la même entreprise qui sera leur bien commun.

Pourquoi Cergy s’est engagé ?
Il s’agit d’un choix politique : aider les habitants des quartiers prioritaires pour trouver un emploi. Le projet est une solution supplémentaire, qui ne remplace pas les autres dispositifs déjà en place mais les complète.

Comment percevez-vous l’évolution des personnes ?
Au cours des ateliers et grâce à l’animation menée, je vois qu’elles retrouvent peu à peu confiance en elles, qu’elles disent ne plus se sentir isolées en voyant d’autres personnes dans leur situation. Leur motivation se renforce en partageant leurs expériences. Elles s’écoutent, retrouvent le sourire ensemble et l’espoir d’obtenir un emploi.

Jean-Pierre Weyland, qui intervient dans plusieurs ateliers depuis 2021, nous explique : « Nous sommes à la croisée des chemins entre le social et le culturel, la formation et le jeu avec cette expérimentation. C’est une des raisons d’être de Weyland et Compagnie qui inclut dans son article 1er les notions d’éducation populaire et d’éducation nouvelle. C’est très inspirant de créer des spectacles mais aussi de faire œuvre pédagogique et de transmission. Ne pas se couper des réalités sociales. D’où mon intérêt pour TZCLD. Je ne pensais pas en m’y aventurant y prendre autant de plaisir. Car on y croise des personnalités attachantes sur le long terme, ce qui est rare. J’y mène des activités diverses : jeux de rôle, communication orale, comment travailler en équipe, apports sur les personnes âgées, l’écoute active, etc. Un souvenir marquant : j’ai proposé que chacune amène un objet important dans sa vie. Ce fut très émouvant grâce à leur implication. Nous avons pu partager un moment intime et mieux connaître le parcours de chacune de ces femmes. A l’image d’Hania qui a nous a parlé de son bracelet offert par son frère lors de son mariage. Elle ne quitte jamais son bijou et nous n’oublierons jamais non plus cette évocation. »
Jean-Pierre Weyland et des volontaires (Laurent, Aurélie et Maly) dans un exercice théâtral Jean-Pierre Weyland et des volontaires (Laurent, Aurélie et Maly) dans un exercice théâtral

Pour en savoir plus auprès des personnes concernées, nous avons interviewé deux femmes qui ont accepté de m’expliquer leur parcours :

Aurélie AMOMBO : « Un emploi dans lequel je me sente bien »

Originaire du Cameroun, elle a perdu ses parents très tôt et a vécu jusqu’à 8 ans au sein d’une concession familiale avec ses oncles, tantes et sa grand-mère. Puis chez sa tante avec sa nièce à Garoua jusqu’à 14 ans. Elle finit par être responsable de sa nièce, qu’elle élève comme sa fille.
A cet âge, elle fugue et vit dans un internat de Mbalmayo. Enfin, elle finit par vivre chez sa sœur à 16 ans et termine chez elle ses études au lycée et en commence à l’université, où elle suit des cours de chimie. Inscrite en allemand, elle apprend la langue et projette d’aller en Allemagne en tant que fille au pair. Mais, la personne s’étant finalement désistée, elle ne peut plus partir.
Déçue mais jamais affaiblie, elle décide de reprendre des études en sciences économiques et de gestion, qu’elle poursuivra jusqu’en Master 1. Elle obtient le Master 2 suite au concours à l'école normale supérieure. Elle travaille en zone anglophone du Cameroun pendant 1 an puis cadre au service de l’orientation pendant 2 ans. Elle est enfin cheffe de bureau de l'inscription et de la programmation pendant 8 ans. Si Aurélie s’épanouit professionnellement au Cameroun, cela s’avère plus compliqué pour sa vie personnelle, son mari et père de sa fille de sept ans vivant en France depuis plusieurs années. Pour sa famille, elle décide de le rejoindre avec sa fille en France en 2021. Si sa fille est très heureuse de vivre en France et ne souhaite plus partir, le quotidien est moins facile pour Aurélie : inscrite au Pôle Emploi depuis qu’elle est arrivée, elle est encore à la recherche d’un travail depuis. Lassée d’être au chômage depuis presque deux ans, Aurélie « se plaît de moins en moins », mais, cependant elle « ne perd jamais espoir que la situation change de nouveau ».
Contactée par Christine Erard, Aurélie se porte volontaire pour participer au projet qu’elle intègre en mai 2022. Ce qui lui a permis de passer et d’obtenir son permis de conduire, financé par TZCLD. Mais ce n’est pas seulement ce que le projet lui apporte : « Il m’aide principalement à retrouver confiance en moi, à m’exprimer plus facilement et à rencontrer des gens. Ça fait du bien. Et aussi, cela m’aide à me projeter professionnellement. ». Sur ce dernier point, Aurélie, qui aime le travail social, n’a qu’un seul souhait pour son futur emploi : « Un emploi dans lequel je me sente bien. Juste ça.  »
Combattante, souriante et positive, il ne fait aucun doute qu’Aurélie trouvera un travail où sa joie de vivre saura rayonner et réchauffer les personnes qui en auront besoin.
Aurélie Amombo, lors d’un atelier de Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée Aurélie Amombo, lors d’un atelier de Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée

Hania AHMADI : « Le karma s’est inversé »

Hania a vécu en Tunisie jusqu’à ses 24 ans, où elle travailla principalement pour aider sa famille « à survivre ». Mariée avec un homme d’origine française, elle le rejoint à Marseille. Heureuse mère d’un petit garçon, Hania commence à travailler quand son fils est âgé de six mois : elle est technicienne de surface à mi-temps au Gymnase Gaby, principalement pendant les vacances estivales. En plus de ce travail, elle fait le ménage dans des bureaux et auprès de particuliers en semaine et les week-ends. Hania tiendra ce rythme de travailler matin, midi, soir et la nuit pendant plus d’un an, même avec l’arrivée de son deuxième fils quelque temps plus tard.
Son mari, gardien de prison, fut muté en région parisienne, la famille s’installe à Osny avant que les parents ne divorcent en 2007. En région parisienne, Hania a le mal du pays et décide de retourner en Tunisie pendant huit mois. Cependant son ex-mari restant en France et inscrivant ses enfants à l’école car il voulait les garder, Hania retourne en France pour obtenir la garde de ses enfants. Quand son deuxième fils entre à l’école, Hania décide de faire un stage de français à Cergy-Préfecture, parlant à peine la langue, pour trouver un travail et ainsi subvenir aux besoins de sa famille. Les cinq années suivantes se sont avérées particulièrement difficiles pour elle en raison du décès de son grand frère dont elle était extrêmement proche et d’une grave dépression qui nécessitera l’aide d’un psychologue. Elle réussit à avoir un peu d’argent par la CAF et le chômage, ce qui permet à la famille d’avoir le strict nécessaire.
En 2011, Hania travaille à la Maison de services en tant qu’employée de ménage. Bien que le travail soit très difficile physiquement, elle s’y plaît car l’équipe et son supérieur sont bienveillants à son égard. Mais en 2017, son patron vend l’entreprise et part, ce qui sera le cas de beaucoup d’employés car le rythme est encore plus soutenu mais l’aspect humain a disparu. Hania y restera encore une année avant de le quitter en 2018. Elle survit alors grâce au chômage, à la CAF et à ses économies.
C’est en 2022 qu’Hania participe à TerritoireS Zéro Chômeur de Longue Durée : Christine Erard l’appelle après que Pôle emploi lui ai transmis ses coordonnées, avec son accord. Elle qui n’a pas fait d’études et a toujours travaillé péniblement pour permettre à ses enfants d’avoir un meilleur avenir, reprend peu à peu confiance en elle : « J’ai toujours galéré et encore plus quand je me suis retrouvée seule avec mes enfants. Je retrouve peu à peu espoir. » Cette expérimentation pourrait lui offrir un avenir plus serein, après des années de sacrifices. D’ailleurs, Hania ne les regrette pas car la réussite de ses enfants la comble : le plus grand, âgé de 21 ans, est en deuxième année de médecine et le second, âgé de 20 ans, en première année d’école de commerce. « J’ai toujours tout sacrifié pour mes enfants et aujourd’hui, ils me le rendent bien. On n’a jamais pu profiter de la vie avant, mais je ne regrette rien. Je suis si fière d’eux et des valeurs que j’ai su leur transmettre. Après tant d’années d’efforts et de restrictions, le karma s’est inversé pour nous et je suis très heureuse. » Aujourd’hui, Hania espère que son futur emploi puisse la rendre utile auprès des autres, comme elle l’a été pour ses enfants.
Hania Ahmadi et Jean-Paul Domergue lors d’un jeu de rôle de Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée Hania Ahmadi et Jean-Paul Domergue lors d’un jeu de rôle de Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée
Les volontaires jouent au Qui suis-je ? Les volontaires jouent au Qui suis-je ?

Se sentir utile, reprendre confiance en soi et en un avenir plus serein, Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée remplit déjà ses objectifs humanistes et bienveillants. Il ne nous reste plus qu’à souhaiter le meilleur pour ces volontaires, que Cergy devienne le territoire d’optimisme de longue durée.

Émilie Charpentier