PREFACE DE JACQUES LADSOUS :

« L’individu est le produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet. » C’est par cette citation de Vincent de Gaulejac[1] que commence ce récit. Et cette histoire où s’entremêlent trois générations est bien porteuse de cet effet de recherche. L’auteur en est le sujet principal, mais ce n’est pas une biographie.
Une biographie comme l’écrit Bourdieu[2] est une illusion dans le sens où celui qui l’écrit, même si c’est l’auteur lui-même, veut prouver quelque chose et présenter les éléments de sa chronologie comme les jalons, les témoins d’une histoire signifiante. Une histoire de vie se présente comme une restitution par l’auteur des principaux moments qu’il a traversés, que ce soit dans l’ordre ou le désordre en soulignant très fort ceux qui lui sont essentiels. D’une histoire de vie on voit surgir non un portrait, un modèle mais une forme humaine qui se construit, qui se détruit au gré des événements qui l’ont frappé. En ce sens, elle est référence pour chacun d’entre nous : nous y trouvons des résonnances, des émotions qui réveillent les souvenirs cachés, enfouis, heureux ou malheureux, comme si l’éclosion de la personnalité qui nous est présentée contribuait à nous éclore nous même là où nous n’avons pas eu le temps ni l’envie d’aller.
C’est exactement ce que j’ai ressenti au long de cette lecture : père, mère, divorces, frères, couple, désirs d’enfants, suivi d’enfant, folie rien ne nous est épargné de cette famille où Jean-Pierre « le petit » a fini par grandir et s’affirmer. Cette famille « ordinaire » n’est pas une famille comme les autres, car, de toute façon, sauf convention, il n’y a pas d’histoire familiale identique. Et nous épousons, au fil du récit, ses joies, ses craintes, ses souffrances, comme si, de la boite aux souvenirs surgissait en nous des êtres de chair et de sang dont, tout à coup, nous découvririons la vie intérieure.
Tout ceci dans un style magnifiquement rythmé, un peu semblable à une écriture cinématographique nous imposant, image après image, une succession de « scènes » qui s’enchevêtrent et tissent la vie. Tant de passions contenues, tant de douleurs assumées, tant d’espoirs entrevus : tout ce qui fait qu’une vie est rien moins que banale. Tout se passe comme si Jean-Pierre avait soulevé le couvercle qui abritait ces vies, pour nous laisser voir les chemins souvent tortueux que suscitent les découvertes et les événements rencontrés. Et de cet ensemble chaotique, l’homme, la femme finissent par surgir comme si, débarrassés de cette gangue lourde à porter, ils pouvaient enfin se trouver.
Tout au long de cette lecture, j’ai pensé aux métamorphoses du têtard à la grenouille, de la chenille au papillon, et j’ai compris, pourquoi, enfant, j’ai tant rêvé devant mon petit élevage de ver à soie, comme si à chaque éclosion se présentait l’image de mon futur.
Car si nous ne sommes pas maître des rencontres que nous faisons, des événements que nous vivons, nous n’en sommes pas moins responsables de ce que nous en tirons pour nous-mêmes comme pour les autres.

Jacques LADSOUS, éducateur, vice-président des Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active), secrétaire général du Musée social, vice-président du Conseil Supérieur du Travail Social de 1987 à 2002.